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Extrait du livre de Yonna Soltner
Art-Cloche : Les oubliés de l'Histoire ?
Ma rencontre avec Yonna a été le déclencheur d’un retour vers les années 80 et sur ma courte et intense vie de squatteuse. Le travail qu’elle voulait faire me semblait ambitieux et je savais que moult travaux avaient déjà abordé le sujet. En lisant son mémoire, non seulement je suis revenue en arrière mais je me suis enrichie des souvenirs des autres, bien différents des miens… Parfois même je me suis demandé si nous avions vécu la même expérience !
Yonna a réussi à entrer dans le monde d’Art Cloche, à l’aborder de près car elle a pu interroger quelques protagonistes qui étaient les créateurs d’Art Cloche et échanger avec eux.
Je lui ai beaucoup parlé de cette période. Je me suis rendu compte peu à peu que ma vie artistique, ce que je suis devenue, pourrait commencer le jour où je suis arrivée au Squat Citroën, rue Léon, dans le 18ème, un lieu géant ! J’ai rencontré Jean Starck – le Patron ? – qui m’a tout de suite indiqué un espace qui se trouvait sur la mezzanine, plus de 200 mètres carrés pour moi toute seule ! L’aventure commence : Sabas, Meriadec, Elco, Ody Saban, Schurder, Loloshka… Si je me souviens bien, j’ai dû payer dans les 50 francs pour l’association. Je me suis sentie chez moi tout de suite. Mon installation s’est faite très vite et comme c’était le mois de juillet et qu’il faisait très chaud sous la verrière, à 7 heures du matin j’étais au travail. J’avais une clef, cet endroit m’appartenait, à cette heure-là, ceux qui habitaient dormaient et les autres n’arrivaient que vers midi ; je traversais le lieu, cinq mille mètres carrés, peut-être cent mètres de long, dans un silence étrange. À ma gauche, des œuvres de Putov, plein partout ; à ma droite, un grand mur avec les rats de Schurder ; plus loin, le grand jeu d’échecs de Loloshka. Chaque jour, je découvrais un artiste, j’en avais plein les yeux ! Après, je montais dans mon espace et là je travaillais, heureuse de pouvoir m’étaler, de faire tout ce que je voulais, sans limites ! Le rêve ! J’ai aussi très vite compris, senti le côté politico-révolutionnaire que dégageait ce lieu et qui m’enchantait, tout comme m’enchantait son mélange de nationalités : Russes, Chinois, Polonais, Hongrois, Turcs, Espagnols…
Cette aventure a duré deux ans. Départ dans la violence de la rue Léon, rencontres dans un bar pour envisager l’occupation du prochain Squat, installation dans la rue Rosalie. Là, nous nous sommes attaqués à du dur ! Que des problèmes avec les habitants et même entre nous. Nous avons créé une association, l’association Rosalie, dont j’étais la présidente. Cette aventure s’est mal finie : après une fête, on a retrouvé un cadavre derrière le squat. C’est là que j’ai décidé de partir définitivement.
Art Cloche m’a beaucoup apporté : éprouver une liberté sans limites dans ma création ; prendre conscience des difficultés d’être une femme dans ce monde d’hommes et commencer à lutter contre ce patriarcat artistique ; faire des rencontres, surtout celle d’Éric Monti, mécène attitré d’Art Cloche, qui a cru en moi, qui m’a acheté des œuvres et a financé entièrement mon Retable de Paris. Je suis ressortie de cette aventure grandie dans tous les sens. Prête à affronter le monde de l’ART ! Ce fut pour moi la meilleure école.
Je continue à avoir des nouvelles de certains artistes d’Art Cloche. J’ai participé à deux expositions rétrospectives en 2008 et 2009.
Je ne m’intéresse pas aux squats actuels. J’ai exposé au 59 rue de Rivoli car j’ai été invitée par l’association Biowoman, pour le 8 mars. Cette salle n’est pas un squat, c’est une galerie car elle est louée. Le squat se trouve dans le bâtiment à côté. Il est ouvert. On peut visiter les atelier, les prix des œuvres sont affichés. Les artistes paient pour avoir une place et doivent envoyer un dossier pour pouvoir bénéficier d’un atelier pendant un certain temps. C’est bien loin de l’esprit dans lequel se trouvaient les artistes lorsqu’ils défendaient et s’appropriaient un lieu devenu un Squat artistique.
Pilar du Breuil (octobre 2019)